Riveder le stelle…

Nel mezzo del cammin di nostra vita,

mi ritrovai per una selva oscura, ché la diritta via era smarrita.

ce sont les premiers mots d’une des plus grandes œuvres littéraires de tous les temps, la Divina Commedia de Dante Alighieri.

Le début du voyage initiatique de l’auteur, au milieu de sa vie, dans une forêt sombre et inextricable, le chemin perdu… ça vous parle du moment actuel peut-être ?

Des mots que presque chaque italien connait, indépendamment des origines, classe sociale, niveau de culture.

L’Art, en Italie, on y baigne depuis l’enfance, car elle est partout : dans les monuments, mêmes les plus humbles, les églises, les musées, la musique.

L’opéra. Qui se prononce OOpera, en accentuant le O, comme en chantant.

Le 7 Décembre, à Milano, c’est St. Ambrogio, patron de la ville.

C’est le jour où les enfants restent à la maison, pour décorer le sapin, le jour des « oh bei oh bei ! » (les belles choses en patois milanais), marché d’artisanat qui à l’époque envahissait le beau pavé bordant la grande basilique dédiée au Saint. Une promesse de Noël, avec toute la fascination de l’attente…

Et le jour de la « Prima della Scala », expression courante pour définir la soirée de gala qui inaugure la saison du théâtre plus fameux au monde.

C’est toujours un opéra qui est representé, et l’événement entraine toute une sarabande de directes, tapis rouge, interviews, critiques et polémiques.

Un événement pour fortunés, dites vous ? Oui et non.

Car si les places de l’auditorium et des loges sont hors de prix pendant cette soirée, il y a toujours la possibilité, tout au long de la saison, d’acheter des tickets au prix démocratique de 12-15€: il faut être motivés, car il s’agit de se présenter des heures à l’avance, enregistrer son nom et répondre à plusieurs appels, avant d’avoir accès au comptoir (et je me souviens des files de nuit pendant ma jeunesse universitaire !) pour monter enfin tout en haut du « loggione », et profiter, à coté des plus passionnés, de la magie du théâtre et de l’avant-première des critiques qui décréteront le succès ou le fiasco du spectacle.

C’est un élitisme qui n’a rien à voir avec le fait de pouvoir se payer une robe de styliste ou une école de luxe.

C’est le privilège d’une culture accessible à tous, car elle est le fruit du travail intellectuel, et d’une passion véritable qui peut durer autant qu’une vie.

Souvenez vous de cette scène culte du film « Les évadés« , pendant laquelle le personnage principal, injustement imprisonné, reçoit un disque de « Le nozze di Figaro » de Mozart, et c’est tellement beau qu’il s’enferme tout seul dans le bureau du directeur en branchant les hauts-parleurs de l’établissement pour permettre à tous les prisonniers de l’entendre. En pleine conscience des conséquences lourdes de ce geste, il le fait quand-même, au nom d’une liberté portée par la musique. N’importe l’enfermement, les punitions, la douleur,

…ces voix se levaient plus haut, plus loin qu’aucun prisonnier il n’aurait pu rêver. C’était comme un oiseau merveilleux qui venait volter dans nos cages: on ne voyait plus les murs, et, pendant ces courts instants, chaque homme de Shawshank s’est senti libre…

Le 7 Décembre, à Milano, il n’y a pas que les personnages du spectacle, de la politique ou de l’art qui se réunissent sous les lumières dorées du foyer de la Scala : il y a les gens communs, qui suivent l’événement (appelé « prima diffusa ») ensemble, depuis des théatres, des lieux publics ou des associations, ou tout simplement de chez eux, entre amis ou en famille.

Quand la Scala a rouvert après la guerre, le 11 mai 1946, toute la ville s’est pressée au théâtre pour écouter le concert dirigé par Arturo Toscanini, mais surtout pour être là, tous unis, après les grandes épreuves, la souffrance, la mort.

En 2020 aussi, la « Prima » a été différente : pas d’interviews, de belles voitures ou de manifestations, pas de cameras, d’applaudissements ou de files d’attente pour se placer au « loggione », pas de réunions pour profiter de la musique ensemble : chacun chez soi, devant la télé ou l’ordi, en regardant et en écoutant un spectacle qui nous a offert les pièces qui ont fait l’histoire de l’opéra et du ballet.

Et là, malgré les critiques, toujours présentes, sur la performance du tel ou tel autre artiste, la magie de la musique en tant que lien, consolation, encouragement opère encore, et de façon plus puissante que jamais.

Du début, avec l’Hymne national chanté à cappella par une chanteuse habillée en femme de ménage du théâtre, à souligner le pouvoir inclusif de la musique, et l’importance de chaque rôle dans la construction d’un spectacle.

D’abord le chouchou des Milanais, Verdi, son Rigoletto et la colère impuissante d’un père désarmé… en passant par Wagner, l’évocatif , et la perfection magique du Grand pas de deux du Casse-Noisette; après la Carmen de Bizet, en rouge ecarlat, et Satie, l’onirique, performé par Roberto Bolle…Pour finir avec toutes les nuances de l’amour, représentées par les femmes de Donizetti et de Puccini : Lucia, Tosca, Turandot, Butterfly…

La grande réponse.

Dans le dernier morceau de Rossini, « tutto cangia, il ciel s’abbella » (tout change, le ciel s’éclaire), au charme fou, derrière les chanteurs défilent les images de Milano, et ses monuments symboliques. Jusqu’à la « Madonnina » statue en or qui veille sur la ville et ses habitants depuis le sommet du Duomo (la Cathédrale).

Un message d’espoir, d’amour, de paix.

Comme Dante sorti de l’Enfer, nous aussi retournerons, j’éspère, « a riveder le stelle ».

Bonnes fêtes à tous

Gioachino Rossini – Guglielmo Tell – « Tutto cangia, il ciel s’abbella »

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