La grande bellezza

C’était une journée de fin mars. Apparement, une journée quelconque.

Une de ces journées ou tu te réveilles avec une énergie oubliée depuis longtemps. Dans la tête, une longue liste des tâches à accomplir, et l’envie de s’y mettre.

Pour une fois, exit le yoga ou la marche du matin. Priorité au café.

Le soleil entre par les vitres, ses rayons caressent les murs, la table, les papiers.

La tasse est chaude sous mes mains.

J’ouvre l’ordi, je donne un coup d’œil aux étiquettes du vin qu’il faut peaufiner avant l’après-midi.

Mon attention est capturée par une facture à envoyer, une réponse à solliciter, dès modification à apporter à un document.

Basta.

Je ferme la tablette.

Chaussures de jardin, gants, sécateur, mini-pelle. Ce printemps encore acerbe, et pourtant joyeux, m’appelle.

Dehors, l’air est vibrant, De temps à un autre, les rafales secouent les branches, attendries de bourgeons vert clair. Des bébés confiantes, dans les bras de mère nature.

Dans mes oreilles, les écouteurs et la somptueuse musique du “Gloria” de Vivaldi.

Je voulais mettre à demeure un joli camélia, le trou est déjà en place, mais la violence du vent me décourage, peur de voir les jolies fleurs, si rares, s’envoler à la prochaine rafale.

Je décide de planter une haie de jasmin d’hiver, côté rue, en utilisant les boutures qui se font naturellement sous la plante mère, côté maison. Un coup de pelle, je plante, je tasse, un coup d’arrosoir. Ça rassemble à rien, pour l’instant, ma haie, mais l’expérience de plusieurs années à la campagne m’enseigne que tout voyage commence avec un petit pas.

La force, la constance, la puissance de la nature m’épatent.

Pendant huit, dix ans, ou presque, les buissons, les arbres, les haies n’ont quasiment pas bougé. C’était comme s’ils réfléchissaient si ça valait la peine de s’épanouir dans ce lieu, à côté de nous.

Et après, presque d’un coup il m’a semblé, ils se sont mis à pousser, en hauteur et en largeur, en prenant la place qui leur était peut être déjà destinée depuis bien longtemps.

Dans un autre article, j’avais écrit, en parlant des graines qui dorment, que “l’essentiel est invisible aux yeux”.

Mes arbres, mes buissons, mes haies, elles savaient où aller. Tout simplement, ils ont attendu.

Les conditions favorables. L’enchaînement des saisons. Le bon moment.

Quand l’impatience me prend, quand la frustration de ne pas atteindre mon objectif me rend malheureuse, quand tout semble enfermé, statique, dépourvu de sens, je pense à mon jardin, et à l’exemple extraordinaire que la nature me donne.

Et je me recentre. Je m’apaise. Je retrouve ma place.

Le soleil est parti, le vent devient plus violent, le ciel est couvert par un voile gris, qui met en valeur les fleurs blanches du cerisier et des pruniers.

La pluie commence à tomber. La température baisse. Mais je ne ressens pas le froid. Je fais partie de tout ça.

Je respire à fond, j’écoute les branches gémir, le bois craquer, je regard les têtes des fleurs se plier sous l’eau.

Et je deviens vent, pluie, nuage et branche.

Je suis parfaitement dans l’instant, parfaitement en harmonie avec le tout.

Je suis moi, toi, mon père, ma mère. Les voix qui chantent. Le passé et le futur.

Je suis tout, et rien.
Je peux me fondre dans cette pluie, et m’envoler avec ce vent.

Je suis, en même temps, la créature, et son créateur.

*syndrome de Stendhal

Lorsque “le sujet développe une admiration sans borne pour une œuvre d’art, et qu’une impression de sublime finit par le déborder émotionnellement”

Rodolphe Oppenheimer

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